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15/02/12
24H pour un vagin
Nouvelle écrite pour le concours du CROUS 2011, thème "Fantasme". Premier prix régional.
“Sans trace, sans douleur et sans conséquence” arborait fièrement en lettres lumineuses la porte de la grande clinique Échanges et expériences. Une fois celle-ci franchie, je me retrouvai dans un grand hall, une rangée de chaises contre le mur de gauche. Devant moi, un grand guichet se tenait sous une pancarte “Accueil”. Je m'approchai et attendis que la jeune femme derrière le comptoir ait terminé son appel téléphonique. Son interlocuteur ne semblant pas vouloir raccrocher, elle écarta le combiné de sa bouche et me demanda la raison de ma présence.
- J'ai un rendez-vous pour une opération à onze heures.
Après lui avoir donné mon nom, je la laissai retrouver mon dossier sur son ordinateur. La voix qui filtrait toujours du téléphone parlait précipitamment et sans discontinuité, et je compris au ton que c'était un client qui se plaignait. La secrétaire me remit un numéro d'attente et m'indiqua la rangée de chaises où patientaient déjà trois personnes, puis remit le combiné près de sa bouche.
- Écoutez, entendis-je en allant m'assoir, vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-même si vous ne respectez pas les consignes de sécurité élémentaires...
Vu l'état de somnolence de mes camarades d'attente, je compris que j'en avais pour un moment. Je me mis donc à feuilleter l'une des brochures qui s'amassaient sur la table basse près de moi.
Cet institut était le symbole des progrès fantastiques accomplis par l'être humain en matière de chirurgie ces dernières décennies. Ici, on pouvait en quelques heures se faire opérer afin de changer de sexe, et revenir un jour, un mois ou des années après pour inverser l'opération et retrouver ses parties génitales d'origine. La brochure que je tenais s'intitulait “Échanges et expériences : N'avez-vous jamais voulu savoir ce que ressent votre partenaire ?” Elle était pleine de formules comme “une expérience inédite et inoubliable”, “une opération aujourd'hui facile et sans danger”, “qui n'a jamais rêvé d'être à la place de l'autre” ou encore “Soyez un homme en semaine et une femme pour votre week-end !”. Au dos, une série de témoignages vantaient les bienfaits de l'opération et le sérieux de la clinique :
“Par amour, je voulais comprendre ma femme jusque dans sa plus profonde intimité, savoir tout ce qu'elle pouvait ressentir. Grâce à Échanges et expériences c'est maintenant chose faite.” Bertrand F. 42 ans.
“Lesbienne, je rêvais depuis des années de pénétrer ma partenaire comme le ferait un homme. J'ai enfin pu assouvir ce fantasme, merci Échanges et expériences !” Sophie D. 27 ans.
“J'ai toujours pensé que la vie est faite pour vivre un maximum de choses. La découverte de la sexualité de l'autre ne peut qu'accroître notre sensibilité et notre connaissance du monde.”
Ce dernier témoignage émanait d'une célébrité locale de la chanson qui posait fièrement avec sa guitare devant le clinique. Je me demandais combien il avait touché pour cette publicité.
Pour ma part, ma situation se rapprochait plus du cas de Sophie, la partenaire fixe en moins. Quelque peu lassé de ma vie d'hétéro, je me voyais de plus en plus souvent attiré par le genre masculin. Mais la sodomie me répugnait quelque peu et je finis par m'avouer que ce que je désirais vraiment, c'était de me faire prendre comme une femme, par un homme. Et puis je voulais voir si les orgasmes féminins était aussi puissants que ce qu'on racontait. Évidemment, ce genre d'opération est hors de prix mais l'idée était si persistante que je finis par céder à mon fantasme, et à prendre rendez-vous dans cette clinique. Parmi les multiples offres proposées, j'avais décidé de devenir une femme durant seulement vingt-quatre heures, mais à fond. Je voulais des seins, une jolie taille, des vraies hanches et des traits fins. Je voulais pouvoir draguer puis coucher avec un hétéro !
Alors que je commençais à somnoler sur ma chaise, une infirmière vint me chercher et me conduisit dans une cabine où elle me demanda de me déshabiller avant d'entrer dans la salle d'opération. En me laissant seul elle me fit un petit clin d'œil, que je pris d'abord comme un geste commercial. Mais en retirant mon pantalon, je me suis soudain demandé si elle n'était pas un homme, elle aussi, à la recherche d'autres partenaires masculins. Quelle confusion.
***
- Vous pourrez retirer les bandages dans une heure.
Pour l'instant, je ressemblais au frère de Ramsès II. Le médecin continuait à me débiter les consignes de sécurité, mais je ne l'écoutais que d'une oreille, fascinée par cette “chirurgie express” et imaginant la soirée que j'allais passer.
- Je me permet d'insister : Vous êtes une femme pour vingt-quatre heures seulement. Vous devez impérativement revenir demain avant dix-sept heures afin d'inverser l'opération. Régulièrement, des clients tentent de profiter un peu plus de leur greffe et connaissent des graves soucis de santé. Votre vagin n'est pas fait pour tenir plus d'une journée.
Je l'assurai de mon obéissance et pris un rendez-vous pour le lendemain. Puis je filai chez moi, mourant d'impatience de découvrir mon nouveau corps.
***
Il y avait une petite file d'attente devant la boîte de nuit. La soirée était déjà bien avancée et je tentais de surmonter mon stress. Ressemblais-je vraiment à une femme ? Le passage devant le videur serait décisif. Pour me calmer, je fixai mes pensées sur le souvenir de mon reflet lorsque j'avais ôté mes bandages dans l'après-midi. Un corps magnifique. Des grands yeux noisettes, une bouche pulpeuse, des seins petits mais fiers, une taille fine, de longues jambes douces, et un pubis féminin qui semblait entièrement naturel. Hétéro, j'aurai tenté de me sauter dessus moi-même. J'avais passé le reste de la journée à faire les boutiques pour m'acheter robe de soirée, chaussures à talon, maquillage et lingerie fine. L'idée que tous ces achats seraient à usage unique était un peu dure à digérer, mais lorsqu'on réalise le fantasme de sa vie, on le veut parfait.
Mais maintenant, seule devant l'entrée de la boîte de nuit, je n'en menais pas large. Lorsque vint mon tour et que je sentis le regard du videur se poser sur moi, je me mis à fixer le pointe de mes chaussures à talon. L'opération m'avais passablement rajeunit. Et s'il me demandait ma carte d'identité pour vérifier ma majorité ? Il ferait une drôle de tête en voyant une photo de moi avec une barbe d'une semaine et un prénom tout ce qu'il y a de plus masculin. Après ce qui me sembla durer une éternité, il m'ouvrit la porte. A l'intérieur, mon premier réflexe fut de porter la main à mon sac pour payer, mais je me souvenu in extremis que les filles entraient ici gratuitement. Enhardie, je jetais même une petit clin d'oeil au type de l'accueil en lui passant devant, et il me répondit avec un sourire. Entrée, enfin ! Tout avait fonctionné, et je m'appuyais sur le mur pour souffler un bon coup. J'étais soulagée, excitée, curieuse et impatiente. Je m'approchai du comptoir et commandai un alcool fort afin de calmer mes nerfs, lorsqu'un grand brun s'installa à côté de moi et insista pour le payer à ma place. La soirée commençait bien.
***
- J'en peux plus, prends-moi !
Mon grand brun hésita une seconde, et j'ai soudain eu peur de m'être trahi par trop d'empressement. Les filles parlaient-elles comme ça ? Mais il se reprit et me plaqua violemment le dos sur le lit, pour mon plus grand soulagement. Après avoir passé des heures dans la boîte de nuit à danser avec de nombreux hommes, profitant au maximum de mes nouvelles capacités de séduction et fascinée par le désir que je faisais naître en eux, j'avais fini par revenir vers mon brun du début, qui avait eu la gentillesse de ne pas trouver d'autre partenaire depuis le premier verre qu'il m'avait payé. Craignant d'être démasquée par mon appartement trop masculin, j'avais insisté pour aller chez lui. Sa chambre était étrangement vide, mais je n'ai pas fait attention bien longtemps, car passablement éméchés nous n'avons pas traîné pour passer aux choses sérieuses.
Après quelques baisers et caresses mutuelles, il commença à jouer avec mon corps. Bon dieu, le plaisir féminin était aussi difficile à contrôler que puissant. Non habituée à ces sensations, j'avais l'impression que mon corps réagissait aléatoirement, oscillant entre une frigidité à la limite de la douleur et une décharge soudaine de plaisir. Une seule chose était certaine : Le désir me brûlait les entrailles, chaque parcelle de mon corps comme de mon âme voulait sentir cet homme en moi, le caresser et le serrer, l'attraper, le griffer, l'étouffer, embrasser et mordre chacune des parties de son corps, sentir sa peau contre la mienne, nos souffles et nos sueurs se mêlant, et enfin me sentir toute à lui, possédée. Lorsqu'enfin il me pénétra, l'extase intellectuelle de cet instant m'avait déjà terrassée alors que le plaisir physique débutait à peine. Orgasme. Je me faisais, moi, prendre comme une femme par un beau mâle, fier et hétéro. Orgasme. Bien qu'ayant moi-même pénétré des dizaines de femmes, j'avais l'impression de ne perdre ma virginité qu'à cet instant précis. Nouvel orgasme. Je n'étais plus que sueur et tremblement, et je lui aurait dit “Je t'aime” si j'avais encore eu le contrôle de mes cordes vocales.
Lui semblait impressionné de ma réception et de la facilité avec laquelle il me faisait jouir. Me calmant lentement, je remarquai qu'il avait l'air particulièrement troublé. Son visage près du mien, je fut aussi surprise de la finesse de ses traits, que je n'avais pas remarquée dans l'obscurité de la boîte de nuit. Il ralentissait ses mouvements, probablement fatigué, mais moi j'en voulais plus. Je me mis donc à onduler violemment le bassin afin d'amplifier mes sensations et je le vis grimacer. Lassée de sa lenteur, je me décidai à prendre les choses en main et me retirai brusquement pour changer de position. Et là, un bruit de déchirement et une sensation extrêmement étrange dans l'entre-jambe. Je stoppai net et pâli. À tous les coups, mon vagin artificiel avait lâché. Je regardai mon partenaire en essayant d'inventer une explication et m'aperçu qu'il était encore plus blanc que moi. Puis, les larmes aux yeux, il cria d'une voix étrangement aigüe.
- Tu m'as arraché la bite, salope !
D'un coup d'œil vers le bas je vis qu'en effet, mon vagin était intact, mais que le sexe de mon partenaire était resté dedans alors que son ventre était à une vingtaine de centimètres de là. Ventre au bout duquel se dessinait par ailleurs un sillon rose creusant la chair... Je me redressai d'un coup et cogna l'interrupteur contre le mur. J'ai alors pu voir distinctement mon “beau brun” les seins pendants, essayant de cacher son vagin d'un de ses bras fins, pleurant dans l'autre et criant :
- Clinique de merde ! Ça devait tenir jusqu'à demain putain !
***
C'est ainsi que j'ai dépensé une fortune pour finalement coucher avec une fille comme j'en avais déjà connu des tas. J'étais dégoutée de m'être fait avoir, et j'avais la haine contre les cliniques de secondes zones. Moi qui avait bien choisi, mon vagin a tenu vingt-quatre heures, comme promis !
Ce témoignage vous a été offert par la clinique Échanges et expériences.